IL Y AVAIT UNE SORCIERE qui PRATIQUE

IL Y AVAIT UNE SORCIERE qui PRATIQUE

VANDANA SHIVA : controverses

L’éco-philosophie de Vandana Shiva .

  • Un compte-rendu critique de « Staying Alive : Women, Ecology and Development »
 

 

 

Cet article est la traduction d’un papier paru le 19 novembre 2016 sur le site « GMO Building Blocks » animé par Marc Brazeau. L’auteur de l’article est Marco Rosaire Conrad-Rossi, et il rend compte du premier  livre de Vandana Shiva, qui à ma connaissance n’a pas été traduit en français.

Article original en anglais :

http://fafdl.org/gmobb/the-eco-philosophy-of-vandana-shiva-a-critical-review-of-staying-alive-women-ecology-and-development/

YK

 

Le Staying Alive dont il est question dans cet article.Le Staying Alive dont il est question dans cet article.

 

 

Un autre Staying Alive, qui est ici hors-sujet.

 

 

Il n’y a pas de personnage dans la mouvance anti-OGM qui suscite plus de respect que Vandana Shiva. Auteure et militante indienne, Shiva s’est positionnée au cœur du mouvement anti-OGM à travers son implacable opposition aux biotechnologies et sa volonté de théoriser les objectifs de ce mouvement  dans le sens d’une vision plus large de la société.  Shiva ne veut pas simplement labelliser les OGM, elle veut renverser tout l‘ordre social, et elle voit dans l’opposition aux biotechnologies le combat qui est la clé de voûte de cette importante révolution verte.

Malgré sa popularité en tant qu’oratrice, il y a très peu d’analyses de l’éco-philosophie particulière de Vandana Shiva. Pour mieux comprendre le fond de sa pensée, j’ai décidé de lire son livre Staying Alive : Women, Ecology and Development.  C’est son premier livre, et il est considéré comme un exposé sérieux de ses idéaux « écoféministes ». En le lisant, j’ai été frappé à la fois par les opinions et par le contenu académique qu’on y trouve : il est rempli de contre-vérités et d’interprétations pleines d’imagination de l’Histoire, sans même  parler du caractère très répétitif de l’exposition, qui alourdit son propos sans le rendre plus imperméable à d’évidentes critiques.  Plus surprenant toutefois – et au grand dam probablement de beaucoup de gens de gauche en Occident -, il est très rapidement devenu évident en lisant l’ouvrage que l’ « écoféminisme » de Shiva est  une idéologie profondément conservatrice, pour ne pas dire « réactionnaire ». Une fois que vous mettez à jour les différentes couches de sa pensée, vous constatez qu’elle est une opposante farouche au modernisme, qu’elle est très méfiante vis-à-vis de l’humanisme et des Lumières, et que son astucieux éco-mysticisme lui donne plus de points communs avec les fanatiques religieux qu’avec les militants progressistes qui constituent l’essentiel de son public.  

Au cœur de la vision du monde de Shiva, il y a l’idée selon laquelle les principaux problèmes auxquels doivent faire face les femmes, les peuples indigènes et l’environnement ont leur racine dans l’évolution de l’Europe vers le rationalisme et la pensée scientifique. Elle baptise cette approche le « réductionnisme » -mais elle associe si souvent ce « réductionnisme » au patriarcat et au colonialisme qu’il semble qu’elle ait redéfini « réductionnisme »  comme un authentique synonyme de ces notions. Dans tous les cas, l’avènement du « réductionnisme » a eu lieu selon Shiva avec  la révolution scientifique européenne, qui selon elle, « a transformé la femme et la nature en des objets passifs, que l’on peut utiliser et exploiter selon les désirs contrôlés et incontrôlables des hommes. ». L’idée que les femmes et la nature ont été « transformées » en objets passifs implique qu’avant cette époque tout allait pour le mieux, ou au moins beaucoup mieux. Les preuves factuelles sur lesquelles elle s’appuie pour avancer cette idée sont, pour  le moins insuffisantes. Le seul lien qu’elle établit entre la révolution scientifique européenne et l’oppression des femmes réside dans le fait que la chasse aux sorcières a eu lieu en Europe à l’époque où la révolution scientifique prenait son essor. Ignorant le fait pourtant évident que  les persécutions à la fois des sorcières et des scientifiques étaient organisée par l’Eglise catholique, Shiva défend sa théorie en mélangeant quelques vagues références à des épisodes de chasse aux sorcières avec quelques citations choisies de scientifiques européens. Cela est loin de suffire à établir une relation sérieuse. Le seul exemple précis de chasse aux sorcières qu’elle cite est une loi anglaise contre les sorcières qui a été adoptée en 1511, mais qui est un exemple très problématique. La plupart des spécialistes du sujet feraient commencer la révolution scientifique européenne avec la publication du livre de Copernic  Des révolutions des Orbes Célestes. Le problème de Shiva est que le livre de Copernic est paru en 1543, soit 30 ans après le seul exemple précis de chasse aux sorcières sur lequel elle s’appuie. La remise en cause de ses idées par la chronologie serait comique si Shiva ne traitait pas là d’un sujet aussi grave.

 

Vandana Shiva, qui a mis en avant l'idée selon laquelle des plantes qui ne peuvent pas se reproduire vont pourtant envahir le monde.

 

Malheureusement pour le lecteur, les compétences en herméneutique de Shiva sont aussi faibles que sa maîtrise de l’histoire (ce qui est en fait surprenant, étant donné qu’elle est titulaire d’un doctorat en philosophie). Elle fait largement reposer la faute de la pensée « réductionniste » sur les épaules de Francis Bacon, mais ses arguments dépassent rarement le stade des citations partielles et des conclusions douteuses. Elle affirme que « dans la méthode expérimentale de Bacon, qui est au cœur  de son projet masculin, il y a une dichotomie entre le mâle et le femelle, l’esprit et la matière, l’objectif et le subjectif, le rationnel et l’émotionnel, avec une conjonction du masculin et du scientifique pour dominer la nature, la femme et le non-occidental. »  Et quelle est sa preuve de cette audacieuse interprétation de Bacon ? La réponse est que Bacon – qui écrit au XVIe siècle -  parle de la nature en disant « elle »[i] et évoque l’humanité toute entière en disant : « l’homme ». Donc, quand il écrit à propos de la  science en utilisant ces dénominations, il transmet un registre de vocabulaire sexiste à la science moderne, registre dont elle ne pourra aucunement s’échapper quels que soient ses efforts[ii]. Il va sans dire que cette analyse est puérile. Evidemment que Francis Bacon avait des préjugés sexistes, qui étaient à peu près universels parmi les  mâles de cette époque, et cela a bien entendu influencé son écriture.  Mais faire de cela une preuve à charge contre toute la science moderne est plus qu’un peu tiré par les cheveux. Ici, Shiva confond clairement la métaphore et le sens, et ce faisant produit une interprétation radicalement erronée des travaux de Bacon.

Si l’on considère son obsession du « réductionnisme » - et des horreurs dont il accouche -,  on s’attendrait à ce qu’il soit important pour elle de clairement définir ce qu’elle entend par ce mot. De manière très problématique, le livre ne contient aucune définition directe du mot. La chose la plus proche d’une explication du « réductionnisme » qui est offerte eu lecteur est la sous-partie du livre intitulée « La division naturel  / non naturel ».  Dans cette partie, Shiva décrit ses 3 catégories du savoir. Le « réductionnisme » ne parvient pas à expliquer la première catégorie – le royaume de la nature, comme en écologie -,  parce que le réductionnisme a besoin de tout réduire au confinement d’une expérience contrôlée. Cette réduction de l’objet à l’expérience contrôlée rend impossible la compréhension de la manière dont les choses fonctionnent dans le monde réel – et de ce fait mène à une incompréhension des systèmes écologiques et éventuellement à la destruction de l’environnement. La deuxième catégorie – le royaume des particules physique et des champs du savoir qui leur sont liées – est favorable au « réductionnisme » parce que ces champs peuvent être expliqués à partir d’expériences contrôlées, mais  ils n’ont pas d’implication pratique dans le monde réel, et donc ne font pas courir de risque de destruction à l’environnement. Il y a enfin une catégorie pour laquelle le «réductionnisme » à la fois fournit des outils adéquats et a des implications pratiques. Selon Shiva, cette catégorie, « contrairement aux particules physiques, transcende le contexte matériel de l’expérience en laboratoire, et, contrairement au savoir issu des champs liés à la santé, à la nourriture et à l’agriculture, ne déséquilibre pas la balance écologique. ». Et quelle est cette troisième catégorie ? La réponse est : « l’électronique ».

On pourrait proposer de nombreuses objections à cette classification, mais je vais centrer ma critique sur la compréhension que Shiva a de l’électronique. D’abord, dire que l’électronique est une catégorie différente de  la physique des particules est une bêtise. L’électronique est bel et bien un exemple parfait d’application pratique de notre compréhension de la physique. Sans la rupture de la mécanique quantique, la révolution digitale n’aurait pas eu lieu. De plus, il est très étonnant de voir une écologiste proclamer que l’électronique ne crée pas de problèmes environnementaux. Au moins sous leur forme actuelle, nos appareils électroniques sont un poids majeur sur l’environnement – depuis les minéraux extraits pour les produire jusqu’aux déchets qu’ils occasionnent. Mais, si l’on laisse cela de côté, il y a quelque chose de très révélateur dans la catégorisation de Shiva. Dans les domaines de « la santé, la nourriture et l’agriculture » Shiva est une luddite achevée, mais elle est par ailleurs très satisfaite d’utiliser ordinateurs,  avions et téléphones portables. Elle prétend mettre ses pas dans ceux de Gandhi, mais Gandhi lui  au moins était cohérent. Il avait un strict régime végan, il utilisait très rarement la voiture, et n’est probablement jamais entré dans un cinéma de sa vie.  S’il y  avait des inconvénients à adopter un style de vie fondé sur la dénonciation des technologies modernes, il était le premier à les assumer. Vandana Shiva est moins impliquée dans son propre ascétisme.

 

Shiva a un agenda très chargé sur le circuit international des conférences. Photo by Saskaboy | Flickr CC licenseShiva a un agenda très chargé sur le circuit international des conférences. Photo by Saskaboy | Flickr CC license

 

Comment justifie-t-elle cette contradiction ? Pourquoi ne pas accepter le « savoir traditionnel » sur le vol aérien quand elle met les pieds dans un avion ? Et qu’en est-il de la voie « tribale » vers la connaissance quand il s’agit de construire une antenne-relais pour téléphones portables ? Sa vision de la science moderne – et la volonté de lui substituer une « ethno-science » , c'est-à-dire une science  ancrée dans la culture d’un peuple particulier, plutôt que d’être un projet universel - , lui fournit un confortable échappatoire à cette contradiction. En fait, « la santé, la nourriture et l’agriculture » étaient choses connues des peuples indigènes, ils en avaient une expérience directe et comprenaient intuitivement les systèmes écologiques. Donc,  leurs vues à leur sujet – aussi erronées soient-elles selon les standards de la science moderne – sont valides. Les inventions plus récentes ne le sont pas. Donc, l’ « ethno-science » du monde développé est valable quand elle est appliquée aux inventions électroniques, mais elle devient « réductionniste » quand elle est utilisée dans ces autres domaines. Cette présentation des choses est si évidemment contradictoire et opportuniste qu’il est difficile d’imaginer que quelqu’un pourrait y adhérer. Quelle qu’en soit la  justification rationnelle, la conséquence de la philosophie de Shiva est que le « réductionnisme » lui permet d’accéder à un certain confort dont elle ne serait pas prête à se passer. Dans ce cas, il s’agit des téléphones portables, des avions et des ordinateurs. Mais il devient la source de toutes les oppressions et de toutes les dégradations dans le monde quand il est appliqué à des choses dont elle a moins besoin – parce qu’elles lui ont déjà été fournies en abondance -, telles que « la santé, la nourriture et l’agriculture ».

L’hypocrisie de ce positionnement échappe complètement à Shiva, dont la plus grande partie du livre est consacrée à  peindre un portait excessivement romantique des peuples indigènes et d’un passé idyllique qui n’a jamais existé. Pour Shiva, l’idée que les peuples indigènes qui vivaient en société tribales pouvaient souffrir de quelque forme de privation que ce soit est purement et simplement une invention de la pensée « réductionniste ». Le problème des sociétés indigènes n’est pas leur pauvreté, mais la manière dont la richesse est définie dans la mentalité  occidentale. Shiva affirme que « les sociétés traditionnelles ne sont pas avancées en matière de satisfaction des besoins non-essentiels, mais en ce qui concerne la satisfaction des besoins fondamentaux et vitaux, elles correspondent souvent à ce que Marshall Sahlins a appelé «  la première société d’abondance » ». Pourtant, il suffit de prendre en compte le taux de létalité de maladies que l’on sait aujourd’hui guérir pour mesurer à quel point ce sociétés étaient en mesure de satisfaire leurs « besoins fondamentaux et vitaux » - sans même parler de chose telles que le logement, les loisirs ou la possibilité de s’investir dans des formes particulières du savoir telles que l’écriture, la recherche scientifique et les activités artistiques.

La référence aux travaux de Sahlins est également révélatrice. Marshall Sahlins s’est rendu célèbre dans le domaine de l’anthropologie en démontrant que les sociétés de chasseurs-cueilleurs ne vivaient pas en permanence au bord de la famine. Alors que certaines des conclusions de Sahlins sont toujours contestées – comme le temps consacré par ces sociétés au « travail » et ce qui y était effectivement considéré comme du « travail » -, beaucoup de ses observations ont été reconnues comme d’importantes contributions à l’anthropologie. Le problème est que beaucoup de gens – particulièrement ceux qui ont un projet environnementaliste régressif – ont mal interprété et exagéré les affirmations de Sahlins. Son travail a été récupéré par des écologistes pour faire dire à propos des sociétés indigènes des choses que Sahlins ne disait pas. Comme l’explique Jacqueline Solway dans son essai qui fait le bilan de l’héritage des travaux de Sahlins : « Des groupes militants ont élevé « La première société d’abondance  [iii]» au rang de quasi objet de culte… Des organisations promouvant la durabilité écologique,  le retour à la nature, l’anti-matérialisme et la vie communautaire» trouvent dans « La première société d’abondance » un support rationnel et une perspective pour leurs rêves et positionnements utopiques. ». Shiva, dans sa course zélée à l’accumulation de louanges sur les sociétés tribales, est profondément coupable de cette usurpation intellectuelle.

Toute cette romantisation des peuples indigènes, tout en façonnant une petite niche philosophique pour l’électronique moderne ,  apparaît un peu au service de ses propres intérêts, et c’est d’ailleurs ainsi que je décrirais le livre de Vandana Shiva : au service de ses propres intérêts. Selon Shiva, l’Inde a été au cœur du développement de l’agriculture et de l’agronomie. Le fait que la réputation des pays développés ait éclipsé celle de l’Inde dans ce domaine est purement et simplement le résultat d’une habile manœuvre effectuée par les « réductionnistes »  pour marginaliser les autres manières d’appréhender le monde. Et ce n’est pas tout, puisque les femmes indiennes ont plus de connaissances en agriculture que qui que ce soit d’autre – et si ces femmes sont de surcroît indigènes, alors elles sont au sommet du savoir agricole. Nulle part dans le livre de Shiva le lecteur n’est amené à penser qu’une compétence est le produit de l’expérience, d’un dur labeur, de la discipline et de l’apprentissage. Le savoir serait plutôt le produit de l’identité, et l’identité dont elle perçoit qu’elle est la plus porteuse de savoir est justement celle des femmes indigènes d’Inde ;  le fait qu’elle soit elle-même une femme indienne fascinée par  les peuples indigènes – et la manière dont cela pourrait influencer sa propre élaboration – ne fait pas partie des choses sur lesquelles elle s’interroge.

Ne pas réfléchir à sa propre identité (Shiva est issue de la caste privilégiée des Brahmanes en Inde) et des possibles œillères qui pourraient en résulter semble être un des facteurs principaux qui ont conduit Shiva à des positions aussi erronées sur la science, la philosophie et l’histoire. Le contenu de son livre en termes de connaissances est simplement lamentable. Elle sélectionne et choisit parmi les auteurs des points qui soutiennent ses positions et ensuite ignore ce qui chez eux la contredise. Par exemple, aux pages 119-120, elle cite le très populaire économiste indien Amartya Sen, pour montrer que la Révolution Verte a accru les inégalités de genre en Inde. Sa preuve en est que le sex-ratio entre hommes et femmes[iv]  est moindre en Afrique –où il n’y a pas eu de Révolution Verte – qu’il ne l’est en Inde. Non seulement cette comparaison ne nous dit à peu près rien des effets de la Révolution Verte, mais Sen serait probablement choqué d’apprendre que ses travaux ont été utilisés de cette manière. Sen, prix Nobel d’économie et expert de la question des famines, n’a jamais démenti l’importance de la Révolution Verte – et à coup sûr il n’a jamais pensé qu’elle a conduit à une aggravation du sexisme au sein de la société indienne.

 Au-delà de cette lecture sélective de travaux de différents auteurs, Shiva accumule les entorses à la déontologie académique. Elle balance des pseudo-faits sans aucune référence à leur appui.  Un des exemples les plus incongrus se trouve à la page 23, quand Shiva affirme que « 80% de la recherche scientifique (…) est dédiée à l’industrie de guerre ». Sans source à l’appui de cette information, le lecteur en est conduit à considérer que celle-ci est entièrement fabriquée par l’auteure. La majorité des recherches scientifiques qu’elle cite effectivement l’est à partir d’articles de journaux et pas des publications originales. D’autres sources sont juste complètement ridicules, comme lorsqu’elle a l’audace de citer un mémo dans une entreprise rédigé par une main anonyme. A d’autres moments, elle est simplement fainéante. Dans un paragraphe, elle présente un graphique de pluviométrie. Au lieu de faire le calcul pour trouver la pluviométrie moyenne sur 40 ans, elle propose simplement au lecteur une estimation. Pour ma part, je ne crois pas que ce livre  passerait avec succès un quelconque examen de niveau universitaire. Au mieux, un enseignant le considèrerait-il comme un brouillon.

 

Pourtant, pour bien des gens, non seulement Vandana Shiva passe en année supérieure, mais elle est même placée sur l’estrade en tant que nouvelle professeure. La seule explication que je peux trouver à cet état de fait est qu’elle nourrit les biais et les préjugés qu’ont beaucoup de gens en Occident à propos du monde en développement, tout en leur fournissant une couverture idéologique  leur permettant de ne jamais avoir à échapper au confort de leur mode de vie privilégié. Shiva donne aux gens l’espoir de pouvoir avoir et le beurre et l’argent de leur beurre bio. Très probablement, elle s’est entourée de sycophantes qui, amoureux de l’idée du bon sauvage qu’elle promeut, sont en quête d’une gourou. Toute sa philosophie et son approche du savoir sont une confirmation que les gourous existent, et, en disant aux gens ce qu’ils veulent entendre, elle devient effectivement la gourou qu’ils recherchent.

Pour couronner le tout, son langage assourdissant la rend impossible à critiquer. De la même manière que Vandana Shiva n’a jamais tort, ceux qui ne partagent pas ses opinions ne se contentent pas de se tromper.  Au contraire, ils sont les complices d’une grande entreprise occidentale de colonisation et d’oppression. Si il y avait une formule qui résumait la pensée de Vandana Shiva, ce serait celle-ci : anthropomorphisez la nature, essentialisez les femmes, et sentimentalisez les peuples indigènes. Ainsi, le sol a des « droits », l’égalité est fondée sur « un principe féminin »,  l’écologue durable implique d’apprendre des « modes tribaux de connaissance », les barrages agissent « violemment" contre les rivières, les expériences contrôlées sont des constructions « masculinistes », le surplus économique est une propriété « épistémique » de la colonisation occidentale, et ainsi de suite. Elle a tellement truffé le terrain du débat de mines  rhétoriques qu’il est impossible de la critiquer sans être accusé de vouloir perpétuer les souffrances d’autrui. Comment un critique sincère pourrait-il dans ce cadre  construire une contre-argumentation efficace ? La réponse est que vous ne pouvez pas, tant que vous ne voulez pas lever le rideau sur l’ensemble de sa comédie et mettre à jour l’hypocrisie et les principes réactionnaires qui sont sous-jacents à ses travaux.

Après avoir lu Staying Alive, il est clair que si les idées de Vandana Shiva venaient à être dominantes, le monde ne serait rien d’autre qu’une « écotopie ». Ses remèdes sont pires que le mal. Il y a une raison à cela. Quand les gens jettent par-dessus bord la Raison – que ce soit l’humanisme quand il est question de la société ou la science quand le monde de la nature est concerné -, le vide laissé dans leur esprit est rempli par des pulsions, des biais et des préjugés. Peu importe s’ils tentent de masquer ces préjugés et ces biais par des néologismes de type « ethno-science », ceux-ci sont toujours présents. Par moments, ces forces d’inspiration peuvent conduire à de bonnes décisions, mais la plupart du temps ce seront de mauvaises. Les gens qui sont trop crédules à propos de leur propre intellect, ceux qui pensent qu’ils n’ont rien à apprendre et tout à enseigner, ne verront pas la différence, mais les gens qui vont souffrir de ces mauvaises décisions eux la verront.  Et s’ils ont assez de soutien de la part d’autrui, cela ne devrait être qu’une question de temps avant que ces voix de ceux qui souffrent ne se fassent entendre plus fort  que les platitudes sonores et la démagogie de Vandana Shiva.

 

(Source : Yann Kindo et son blog "La Faucille et le labo : décembre 2016/ Mediapart)

 


Un point de vue plus impartial recueilli sur youtube :

 

 

On peut être en désaccord avec les références essentialistes employées ici par Vandana Shiva (et dieu sait si je le suis, on n'est pas sorti.e.x.s du bac avec la naturalisation des rôles genrés), mais son combat contre la privatisation du vivant ou la destruction de la biodiversité sur l'ensemble du globe au nom du profit d'un petit nombre est fondamental. Nous sommes dans l'urgence d'agir, et ce n'est pas sur les multinationales qu'il faut compter pour épargner notre planète. D'ailleurs, contrairement à ce qui est évoqué dans certains commentaires, il n'a jamais été question pour elle de prôner un quelconque "retour en arrière" antiprogressiste, mais bien de soutenir la paysannerie à échelle locale par des moyens simples (la préservation de la variété des semences et la lutte contre le brevetage et le génie génétique industriel), favoriser les circuits courts et le respect de la faune, la flore et de l'humain. Juste la base de la vie quoi... On est d'accord, les métaphores qu'elle emploie ont des relents pour le moins traditionalistes, mais de là à la traiter de charlatane pseudo-scientifique... les combats pour la préservation de notre planète sont multiples, sûrement pas tous parfaits (peut-être comme chacun.e.x de nous ...) mais le coeur du problème est commun. Avançons ensemble plutôt que de nous tirer dans les pattes. Ensemble, agissons !

 

(Source : commentaire sur la vidéo d'une interview de Vandana Shiva sur la chaîne Médiapart par la journaliste Jade Lindgaard)

 



14/12/2018
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